"NATH ! En scène dans 3 min !"
"Je suis prêt !"

Cinq soirs par semaine, c’était la même chose : Nathaniel arrivait au club avec deux heures d'avance. En même temps, il devait s’échauffer, voir la playlist afin d’avoir une petite idée de ce qu’il allait faire, voir avec les autres danseurs s’ils avaient des idées pour des synchros...Bref, préparer un peu la soirée et la nuit qui s’annonçaient. Alors, ils ne passaient pas tous en même temps, ne serait-ce que pour être sûr que tous aient du temps pour se reposer entre deux sets sans avoir de vides sur les scènes. Et là, c’était à lui, Nathaniel Talbot, à Isla Nublar depuis un an et demi. Non pas pour les dinosaures, même s’il est bien allé en voir un ou deux par curiosité durant son temps sur l’île, mais surtout parce qu’il y avait son travail et donc sa petite vie : Danseur au club de la ville. Mais avant d’en arriver là, à cette indépendance et cette vie qui lui plaisait, malgré la présence de créatures préhistoriques, parfois dangereuses, tout près, il y a eu beaucoup de choses…

Né dans une petite ville du Texas, Nathaniel avait un père agent, Arnold, immobilier gérant surtout les grands ranchs et les transactions de ces derniers, lui permettant un joli petit salaire mensuel. Une mère au foyer par pur plaisir de s’occuper de ses enfants, Moira, ainsi qu'une grande sœur de sept ans son aînée, Jess. Les deux enfants ont toujours été très proches, malgré leur différence d’âge. Jess veillait jalousement sur son petit frère quand leurs parents ne le pouvaient pas. Elle partageait aussi beaucoup avec lui. Si seulement il était un peu moins rêveur…ceci était un gros problème pour le jeune homme, en plus d’être un garçon aussi curieux qu’actif : Il a, d’aussi loin qu’il se souvient, un léger déficit d’attention. Oh, rien de bien sévère, pas de quoi dire qu’il a une pathologie, mais parfois, il pouvait lui arriver de perdre le fil d’une conversation, voire de sa propre phrase en cours. Le pire étant quand il veut lire. Il avait beaucoup de mal à ne pas être distrait durant la lecture d’un livre. Cependant, avec les années, il a trouvé une parade quand il veut profiter pleinement d’un livre : il écoute de la musique. Cette dernière coupant les bruits extérieurs pouvant le diriger vers une distraction, il arrive à se concentrer. A son plus grand bonheur vu la façon dont il dévore un livre…Mais passons.

En somme, il eut une enfance plutôt calme. Il se découvrit vers ses dix ans une passion pour la danse ; sa sœur et lui s’amusant régulièrement au Dance Dance Revolution à la galerie d’arcades non loin du collège de Nath, il avait envie de faire plus. D’aller plus loin qu’une simple imitation. Pendant des années, ce fut un refus catégorique de son père, qui le força même à prendre des cours de boxe. Autant le dire tout de suite : les relations avec son père ont toujours été tendues. Il voyait en Nath un héritier, un pour continuer la lignée, bien plus que sa sœur. Le vieux, archaïque même, modèle patriarcal où les femmes restent à la maison pour s’occuper des enfants et de la maison…C’est vrai que sa mère l’a fait, mais elle l’a fait par choix. En tout cas, à force, il finit par faire céder même son père qui accepta de le laisser prendre des cours de danse moderne. Pas classique, il y avait des codes bien trop rigides pour cela. Ce fut vraiment une bonne chose pour lui. Brûlant l’énergie qu’il avait en trop, il arrivait mieux à se concentrer dans sa vie de tous les jours, sans posséder un pouvoir de concentration parfait pour autant, il était aussi plus épanoui, plus assuré dans son corps et ses gestes…Toujours aussi gaffeur, mais on ne peut pas tout arranger non plus. Bref, un bon compromis.

Le lycée…Fut une toute autre chanson. Il dansait toujours, merci mon dieu, mais ce fut aussi là qu’il découvrit son attirance pour les hommes. Oh ban sang que ce fut difficile. Il s’en rendait compte, mais le réprimait au maximum. Le crâne bourré de conception à la limite du satanisme envers les homosexuels, il avait peur de ce qu’il ressentait. Terriblement. Si bien qu’il en fasse presque des crises de paniques – non, rayez cela, il faisait des crises de paniques quand il s’en rendait compte. Il devint un peu plus étrange aux yeux de ses camarades et ce fut Jess, qui leva un peu le poids d’une culpabilité erronée des épaules de Nathaniel. Après une crise au lycée, ce ne fut ni son père, ni sa mère qui vint le chercher, mais sa sœur. Pendant une grande partie du trajet en voiture, il garda le silence, jusqu’à ce qu’elle arrête la voiture sur le bas-côté et le menace de le laisser en plan ici s’il ne lui disait pas tout de suite ce qu’il se passait. Ce ne fut pas facile, mais, à force de persévérance et de douceur de la part de Jess, le jeune homme parla, expliqua. Enfin, en quelques phrases balbutiées entres deux prise d’air afin de refouler les larmes qui lui montaient dès qu’il pensait à cela. La raison principale de crises de panique ? La réaction de son père, qu’il saurait violente. Finalement, elle comprit, et serra son petit frère dans ses bras.

"Papa n’a pas à savoir. Tu fais ce que tu veux ; on ne choisit pas ce genre de chose et si ça te rend heureux, papa n’a rien à y dire."

Même s’il ne croyait pas spécialement aux paroles de sa sœur, il ne pouvait pas nier le réconfort que cela lui apporta ; sans compter qu’elle avait raison : ce que papa ne savait pas ne pouvait pas ne pouvait pas lui faire de mal. Alors, avec l’aide de Mina, sa meilleure amie (qui s’est exclamée un franc « JE LE SAVAIS » quand il lui avoua son homosexualité), ils firent croire qu’ils sortaient ensemble. Ils étaient si confortables l’un avec l’autre que même un petit bisou de temps en temps pour le plaisir du public ne les dérangeait pas. Alors qu’à côté de cela, il venait à accepter cette part de lui qu’il avait réprimé pendant des années, par peur du regard des autres, par peur de son père, par peur…De ce qu’il ne connaissait pas. Il ne le criait certainement pas sur les toits, à dire vrai, il essayait même de le cacher un maximum, connaissant assez bien les mentalités ambiante pour éviter de se recevoir les foudres religieuses et bien pensantes made in Texas.

Sa vie continua tranquillement, son petit plan fonctionnant à merveille et il prit la route de la danse professionnelle, bien décidé à faire de cela son métier. Au grand damne de son père…Parfois, Mina et lui sortaient dans des bars ou en boîtes, afin de se vider un peu la tête des examens divers et variés. Mais ce fut lors d’une de ces sorties que tout s’écroula et pris un tournant radical dans sa vie. Son père se trouvait dans le même bar qu’eux, totalement par hasard pour le coup, sauf qu’il n’a pas raté (entre deux répliques de dragues pour la femme en face de lui, qui n’était décidement pas sa femme) son fils bien trop intime avec un autre homme, visiblement plus âgé que lui. La suite se passa vite ; en trois enjambées, son père s’interposa entre les deux jeunes gens et traîna, sans un mot, son fils hors du bar. Mina voulut venir, mais Nath lui lança un regard la suppliant de ne pas le faire, elle risquait autant, si ce n’est plus, que lui si elle venait. Le trajet en voiture fut rapide, merci les violations des règles de vitesse en ville, et dans un silence pesant, presque à couper au couteau. A la maison, toute la colère, l’indignation qu’Arnold pouvait ressentir se déversa sur son fils, malgré Jess qui tentait de le calmer. Le fait que sa fille ait été au courant et ne lui ait rien dit l’enrageant encore plus.

"Papa, calmes-toi, t’énerver ne changera rien !"
"Que je me calme ? Alors que mon fils se perd dans des ignominies ?! T’en as de drôle Jessica !"
"Tu entends ce que tu dis ?! C’est ton fils bordel, pas un étranger !"
"C’est tout comme."

Pendant tout l’échange, Nath resta silencieux, bien trop paniqué pour réellement pouvoir dire quoi que ce soit, sentant la crise de panique monter doucement mais sûrement. Pourtant, il se força à respirer, à prendre la parole pour se défendre mais bon sang…C’était difficile. Il sortit enfin de sa transe pour balbutier quelques mots.

"Je…Pardon…Mais c’est comme ça…" ça ne voulait pas dire grand-chose et il rebaissa la tête aussitôt les mots sortis de sa bouche. Son père reporta son attention sur lui, le regard à la fois glacial et brûlant de rage. "J’aime les hommes. Je ne peux pas changer par qui je suis attiré papa…"
"Je savais que la danse était une mauvaise idée…" alors là…son père pouvait dire ce qu’il voulait sur les homosexuels, il n’y avait rien qu’il ne connaisse pas déjà, mais insinuer que c’était à cause de la danse…Il ne l’accepterait pas ! Prenant une grande inspiration, il se leva de la chaise sur laquelle il s’était assis en arrivant.
"Ça n’a rien à voir ! Quoi ? Tu crois que tous les danseurs masculins sont « de sales pédés » ? Eh bien c’est faux ! Certains ont des familles !"
"Je dis juste que, pour moi, il y a un lien de cause à effet." A force de parler, la panique avait cédé sa place à une rage sourde, explosant en lui et brûlant dans son sang comme de la lave dans ses veines. Ce n’était pas bon, quand il était stressé ou énervé, il retenait mal sa langue et c’est ce qui allait lui faire défaut ici.
"Ce que tu peux être obtus ! Oui j’aime les hommes et oh mon dieu oui j’ai embrassé et même toucher intimement un autre homme ! Plusieurs même. Et tu veux savoir quoi ? Je me suis senti plus vivant et moi-même durant ces quelques instants que pendant toutes les années passées en tant que ton fi-"
Le bruit d’une main s’abattant sur une joue retentit dans la pièce et pendant de longues secondes, le plus parfait silence prit place. Arnold venait de lever la main sur son fils, et ce dernier lui lança un regard noir avant de lui décocher un crochet du droit en plein dans le nez. Plus aucune pitié pour lui.
"C’est la dernière fois que tu lèves la main sur moi. Ou même les yeux." Sa voix était froide, distante, mais calme. Sa décision était prise et il ne reviendrait pas dessus.

Sur ces paroles, il laissa sa mère s’occuper de son père tandis que Jess tentait encore de calmer le jeu entre eux. Appelant à son attachement à leur mère et à elle afin de le faire réfléchir deux minutes. Pourtant, s’il l’entendait, il ne l’écoutait pas. Il quitterait cette maison de dingues ce soir ; il irait retrouver Mina chez elle, ou au club, ou n’importe où et resterait avec elle le temps de se trouver un truc à lui. Oui, il le devait, à moins de vouloir devenir fou.

"Arrêtes Jess. Tu as bien vu comment était papa. On ne changera pas son avis, tout comme on ne changera pas mon orientation sexuelle, alors ne te fatigues pas. Et puis, on reste en contact toi et moi, je te le promets." Avec ça, il serra fort sa sœur contre lui. Elle était peut-être la plus vieille, mais il était le plus grand à présent. Ils restèrent de longues minutes ainsi, avant qu’elle ne l’aide à finir son sac et il quitta la maison, sans un mot pour ses parents. Mina lui demanda si son père avait un coquard et il en rit. Sincèrement. Il ne pensait pas pouvoir, surtout aussi vite après une soirée aussi horrible, pourtant, il le fit. Mina avait ce super-pouvoir.

Ce fut le début d’une nouvelle vie. Une vie de galères, de joies, et d’acceptation. Il enchaînait les petits boulots entre deux auditions pour un job de danseur. Sa sœur l’aidait comme elle pouvait, mais leur père veillait au grain afin qu’il comprenne ses erreurs. Quel vieux crouton. Malgré son acceptation de ce qu’il était, il le gardait pour lui. Il ne mentait pas en racontant qu’il aimait les femmes ou quoi que ce soit, il n’en parlait simplement pas. Si le sujet revenait sur le tapis, il faisait en sorte d’éviter la question. Mina se faisait toujours passer pour sa petite amie, ayant vite compris qu’il était courageux, mais pas téméraire.

Finalement, il envoya une candidature pour un poste de danseur dans un bar et envoya un CV ainsi que sa vidéo promo pour travailler sur…Isla Nublar, là où allait se trouver le parc à thème de Jurassic World. Honnêtement, Nathaniel ne s’attendait pas du tout à être reçu, ne serait-ce que pour le trajet pour les auditions. Pourtant, il a fait des auditions, à Houston, et fut accepté. Bon sang, son premier poste fixe et cela, dans la danse ! Autant dire qu’il était aux anges. Après réflexion, il aurait peut-être dû se renseigner sur le temps près au Costa Rica avant d’emmener des pulls, mais sinon…Un nouveau départ, loin du Texas, loin de son père, loin de tout. Il pourrait repartir à zéro là-bas et ne plus avoir à se cacher. Enfin, il verrait pour cela, mais il pourrait au moins se sentir plus libre loin des codes étriqués de la société texane.

Il monta sur scène. Derrière les vitres qui empêchaient les gens de toucher aux danseurs (une chose pour laquelle il était plus que reconnaissant), il voyait la foule s’amasser autour d’eux, sans pour autant leur porter attention. Ce qui lui allait parfaitement. Il n’avait pas besoin de quarante mille paires d’yeux sur lui, le simple fait de danser, de le faire parce que c’était son métier (et non plus une simple passion) suffisait à instiller un peu plus de bonheur dans son être. Durant les quelques semaines passées à Isla Nublar jusque-là, il pouvait certifier s’être épanoui comme jamais auparavant. Il restait encore discret sur ses préférences (chat échaudé craint l’eau froide comme on dit), mais il profitait pleinement du cadre et des gens présents. Il a toujours été quelqu’un d’avenant et de naturellement enclin à se lier avec les autres (parfois trop, son petit cœur d’artichaut pourra vous le dire), alors ne plus avoir l’ombre de son père sur le dos l’aidait grandement à reprendre cette attitude qu’il avait abandonnée. Il reste toujours cet être gaffeur et maladroit qu’il a toujours été, bien trop apte à s’enfoncer dans une situation embarrassante en parlant beaucoup trop, mais à côté de cela, il y avait ce lui qui dansait, sans gêne, sans tabou, avec une assurance qu’on ne lui soupçonnait pas, et c’était l’alliance et la libération de ces « deux lui » qui lui permettait de se sentir heureux, enfin.